Imaginons que pour échapper à l'enfer des fins de droits du chômage (ou du RSA, ou de la rue...), vous vous mettiez à vous battre (comme si vous n'aviez que ça à foutre) pour trouver coûte que coûte un emploi.
Vous vous faites soigner si vous êtes malade.
Vous vous faites accompagner d'un ou plusieurs chargés d'insertion, vous faites des bilans de compétences, essayez des formations parfois humiliantes, faites des stages non rémunérés...
Jusqu'à trouver, au bout d'un temps indéfini, au détour des innombrables chemins dans lesquels vous vous êtes aventuré, quelqu'un de sympa qui vous apprend, juste pour le plaisir, 2 ou 3 bricoles, dont vous pourrez vous servir habilement de base pour reprendre un peu de confiance en vous et oser postuler à un job (déclaré pour une fois) qui vous plairait vraiment, que vous êtes sûr que vous honorerez, avec le temps, la patience, la pugnacité, et surtout cette envie d'apprendre qui vous est enfin revenue.
Imaginons que le job, vous le décrochez.
Vous arrivez sur le lieu, accueilli par les travailleurs en place, et du haut de votre nuage, ou encore incrédule d'avoir réussi à sortir de l'enfer des fins de droits de chômage (ou du RSA, ou de la rue...), vous les voyez tous beaux et gentils, du moment que le cadre et les horaires correspondent à ce que vous souhaitiez, et surtout que le boulot en plus, c'était celui dont vous rêviez...
Arrive un jour où votre nuage ne vous porte plus, et où vous commencez à comprendre où vous êtes tombé, et que si ça ne ressemble pas à ce que vous connaissiez, ce n'est pas parce-que avant ça aurait été tout noir, et que maintenant, ici ce serait tout rose...
Dans le monde ordinaire du travail où vous êtes tombé, il y a des gens surtout bien différents de vous. Il y en a qui sont bien contents de leur situation confortable, il y en a qui ont peur de perdre leur travail, il y en a qui ne disent rien et on se demande ce qu'ils pensent, il y en a qui sont habitués...
Et puis, il y a votre supérieur direct, l'infirmière en chef, ai-je envie de l'appeler, Miss Mildred Retched.
Votre supérieur direct, contraint lui-même par des règles édictées par ses propres supérieurs, ainsi que se sentant fort de sa position supérieure à la vôtre, se charge de faire respecter les règles, mais peut aussi se permettre d'édicter les siennes.
Votre supérieur direct qui vous coache tous les jours, sait ce qui est bon pour vous, à tout point de vue, pas seulement professionnel, parce-que vous êtes dans son territoitre, celui où s'il veut, il peut vous remettre à la place qu'il vous octroie, au gré de ses humeurs.
Il peut exiger de vous d'être autonome, et aussi, de ne rien faire sans l'en informer...
Il peut vous expliquer que c'est avec le temps que vous assimilerez les nombreuses informations nécessaires à l'accomplissement de votre travail, et, exiger de vous, plus de rapidité de compréhension et d'exécution, sinon le travail de l'équipe, ou de l'entreprise dans son ensemble, sera freiné à cause de vous.
Il peut aussi vous entraîner sur un terrain où votre situation par rapport à lui, est privilégiée : il peut confidentialiser entre vous et lui un certain nombre d'informations, auxquelles les autres collègues, pour des raisons plus ou moins (im)précises n'ont pas (ou pas encore...) accès. Incidemment, et comme en retour, il irait de soi que vous lui fassiez part de tout ce que vous entendriez et apprendriez en son absence.
Il est probablement le même supérieur direct avec tous vos collègues, ceux qui aiment bien leur confort, ceux qui ont peur, ceux qui se taisent, ceux qui sont habitués.
Mais vous, vu là d'où vous venez (les fins de droits du chômage, le RSA, la rue...), vous ne connaissez ni le confort, ni la peur, ni l'habitude, et puisque vous êtes là, c'est que vous ne vous êtes pas tu, ou qu'à un certain moment, vous avez pu sortir de votre silence.
Et vous voilà, encore éveillé, parmi les endormis, ou ceux qui font semblant de l'être, vous voilà à dire, exprimer, à avoir des opinions, des étonnements, des remises en questions sur les acceptations et adhésions aux règles, même si les unes entrent en contradiction avec les autres et qu'on en perd son entendement...
L'infirmière en chef donne aussi les pilules, les cachets, et s'assure qu'on les avale bien devant elle ↔ Le supérieur direct affirme qu'il met un point d'honneur à ce qu'il n'existe pas de souffrance au travail.
Et voilà qu'avec votre vie, vos mots, vos pensées qui viennent d'un autre monde, vous commencez à mettre du désordre. Voilà que l'infirmière en chef/supérieur direct menace tout doucement au début, de prendre "des mesures", et vous dit de faire attention.
Faites attention... à votre caractère !
Et comment !
Mais vous n'en êtes qu'au début, et vous souriez encore, bien que celui-là ait souvent mal au ventre, celui-là au dos, que celle-ci craque et fond en larmes.
Tenez-bon : il reste les questions de la suite de l'histoire qui n'a pas de fin...
Mais vous-même, finirez-vous électrochoqué, lobotomisé par l'ensemble des supérieurs de votre société ? Puis achevé par quelqu'un sortant de son silence, quelqu'un qui, vous considérant vraiment, une sorte de "chef Bromden", estimerait que vous seriez plus libre dans la mort que dans les faux-semblants, et emmènerait votre âme avec la sienne, libre enfin, ayant compris grâce à votre sacrifice, qu'il est grand (un géant même), fort, et vivant.
Bien sûr, vous tenez bon.
Vous savez qu'il y a bien pire. Il faudra tenir bon pour ne pas occulter le bien pire, ni, non plus les escarmouches. Tenir bon, pour témoigner encore et encore.
Le phénomène du harcèlement moral au travail, les suicides au travail, ou consécutifs aux conditions de travail dont nous informent pourtant régulièrement les médias officiels, ne suffisent pas encore.
Témoignez, dès que commence, dans le milieu ordinaire du travail, le plus ordinaire des plus petits abus de pouvoirs.